Risques pays: stratégies géopolitiques et économiques des grandes puissances
21/05/2006
Les grandes puissances traditionnelles que sont les Etats Unis et la Russie, malgré la fin de la guerre froide, continuent à s'opposer. Pour des raisons économiques d'abord qui sous tendent des volontés d'influences politiques. D'autres, hier sous estimées, comme l'Inde et la Chine émergent sur la scène internationale et viennent troubler l'ordre établi. D'autres enfin, pays de l'Amérique latine, profitent de l'embellie des cours des matières premières et de leurs réserves énergétiques conséquentes, pour se rebeller contre les "profiteurs occidentaux".
Tous ces événements ont un point commun: l'approvisionnement en énergies. Que ce soit pour utiliser les réserves des Etats pour asseoir une influence amoindrie (Russie), ou pour diversifier, en raison d'une forte consommation intérieure (Chine) ses sources d'approvisionnement, ou pour s'opposer contre une hégémonie devenue trop pesante, voire "impérialiste" (révolte de l'Amérique latine contre les Etats Unis).
Comme l'exprime Claude Imbert dans un remarquable éditorial du Point, en date du 18 mai 2006, la Russie "assise sur son pactole énergétique, nouvelle et désendettée, jouant des coudes dans tout l'ancien empire soviétique, redevient superpuissance". Elle cherche à ramener les "moutons égarés", anciens pays du Pacte de Varsovie, en faisant pression sur eux par l'utilisation de ses énormes ressources en hydrocarbures comme "'armes de manipulation et de chantage". Ce fut le cas avec l'Ukraine l'hiver dernier, dont l'Europe a fait indirectement les frais, la Géorgie, la Biélorussie, le Kazakstan. Le président Poutine cherche aussi à se sortir de l'emprise dans la quelle il se sent contraint par les Etats Unis qui cherchent eux aussi à diversifier leurs sources de pétrole et de gaz en nouant des accords avec les pays de l'Asie centrale: c'était le sens de la visite au Kazakstan du vice président Dick Cheney le vendredi 5 mai. Il veut, selon l'analyse de l'AFP, reprise par le journal La Croix, à la fois barrer la route à la Chine en exportant les ressources de la Caspienne vers l'ouest et "court circuiter le quasi monopole de la Russie sur la route des hydrocarbures" selon le stratégiste de la banque Alfa à Moscou, Chris Weafer.
La Chine, deuxième consommateur mondial de produits pétroliers, cherche à diversifier les sources de ses approvisionnements dans le monde entier: son président, Hu Jintao vient d'effectuer des déplacements, en Afrique fin avril, pour consolider ses approvisionnements en pétrole au Nigéria, en Angola, au Soudan; les importations chinoises de pétrole africain ont augmenté de 9% en 2005, représentant près de 30% de ses importations totales. Auparavant la Chine a conclu des accords sur le même thème avec le Canada et certains pays d'Amérique latine.
L'Iran veut se doter de l'arme nucléaire en défiant les Etats Unis et l'ONU dans un bras de fer dont on ne connait pas l'issue. Egalement puissance pétrolière elle cherche, contre l'Arabie saoudite, à établir sa suprématie sur le monde musulman.
L'Amérique latine, profitant de la formidable augmentation du coût des matières premières se rebelle contre les "profiteurs": ses ressources énergétiques lui permettent en particulier de résister contre l'impérialisme des Etats Unis. L'Equateur vient d'annuler le contrat d'exploration et d'exploitation de la société américaine Occidental Petroleum. Le président bolivien Evo Morales, avec l'appui des présidents du Brésil et de l'Argentine, vient, début mai, de décider de nationaliser les hydrocarbures boliviens. Il a donné 100 jours aux quelques 26 entreprises étrangères, dont l'hispano argentin Rhepsol YPF, le britannique British gas, l'américain Exxon Mobil, le français Total, le brésilien Petrobras, pour "régulariser" leur situation et remettre leur propriété des gisements et d'exploitation à la société publique bolivienne YPFB: 82% de leurs bénéfices, contre 50% aujourd'hui, devront être reversés à l'Etat bolivien. Dans le même temps, le Venezuela, Cuba, la Bolivie font sécession en signant le Traité de Commerce des Peuples qui se veut une alternative au projet de Zone de Libre Echange des Amériques (ZLEA).
Dans ce contexte où l'Asie, la Russie, les Etats Unis, l'Amérique latine préparent activement leur avenir en définissant les stratégies les plus opportunes pour préserver l'approvisionnement de leurs ressources énergétiques, l'Europe parait bien inactive...